Nouvel article scientifique : le cerveau peut-il « trop » apprendre?

Le cerveau peut-il « trop » apprendre ? C’est la question que des chercheurs de l’Université de Harvard et de l’école d’ingénieurs SupBiotech se sont posés dans un article paru le 25 avril dernier, dans la revue PLOS Biology.

Experience-dependent evolution of odor mixture representations in piriform cortex. Berners-Lee A, Shtrahman E, Grimaud J, Murthy VN.PLoS Biol. 2023;21(4):e3002086. 2023 Apr 25. doi:10.1371/journal.pbio.3002086  Lien

Julien Grimaud nous explique l’intérêt de ce travail de recherche auquel il a participé :

Dans cet article, nous avons entraîné des souris à reconnaître un mélange cible de molécules odorantes parmi des centaines d’autres. Un peu comme si nous nous exercions à reconnaître, à l’aveugle, la formulation d’un parfum précis parmi tous les flacons disponibles dans une parfumerie. Si la tâche peut nous sembler ardue, les souris, elles, apprennent très vite, grâce à leur odorat très développé. Elles n’ont besoin que de quelques heures d’entraînement pour devenir expertes à la tâche !

Dans le même temps, nous avons observé, chez ces mêmes souris, comment l’activité électrique des neurones évoluait avec l’entraînement. Nous nous sommes penchés sur une région du cerveau appelée cortex piriforme. Le cortex piriforme, qui tire son nom de sa forme de poire (d’où le préfixe piri-), est connu pour son rôle crucial dans l’apprentissage des odeurs.

À mesure que les souris apprennent à reconnaître le mélange cible, leur cortex piriforme se modifie : les neurones deviennent plus sélectifs pour les molécules de ce mélange. Ce mécanisme s’appelle la plasticité neuronale : le cerveau apprend en modifiant durablement son activité électrique, en fonction des stimulus qu’il reçoit.

La plasticité neuronale est un phénomène très étudié et bien documenté dans le cortex piriforme, lors d’un apprentissage olfactif. En revanche, ce qui nous a surpris, c’est de continuer à observer cette plasticité après que les souris ont atteint leur pic de performance. En d’autres termes, la sélectivité des neurones du cortex piriforme continuait de s’accroître avec l’entraînement, même si cet entraînement n’augmentait pas la performance des souris.

Le cerveau avait-il donc « trop » appris ? Pour répondre à cette question, nous avons ensuite soumis ces mêmes souris à un nouveau test, similaire en tout point au précédent, à la différence que le mélange cible d’odeurs était légèrement altéré à chaque essai. Un peu comme si on nous demandait de reconnaître un parfum parmi une multitude d’autres, mais qu’à chaque nouveau « pschit », on modifiait légèrement la formulation.

Nouvelle surprise : nous avons observé une corrélation forte entre d’une part la plasticité neuronale observée après le pic d’entraînement, et d’autre part nos performances à la nouvelle tâche. Pour résumer : plus le cortex piriforme avait « trop » appris, et plus vite les souris ont appris à s’adapter aux mélanges cibles modifiés. La phase de sur-apprentissage a donc été bénéfique pour les souris.

Les résultats résumés ici suggèrent qu’il peut être bénéfique d’entraîner notre cerveau, même lorsqu’on n’a plus l’impression de progresser. Ce « sur-apprentissage » peut en effet nous aider à adapter l’ apprentissage passé à des tâches différentes mais similaires dans le futur. Cette étude nous éclaire donc sur la manière dont le cerveau s’adapte et anticipe les apprentissages futurs.

 

 

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